Ma vie était si bien huilée, les évènements étaient plus ou moins prévisibles, nos relations étaient plus ou moins stables, nos plaisirs étaient variés. Et là le gros grain de sable est venu stopper net le temps qui s’écoulait. Au bout d’un moment, nous sommes encore un peu hébété.es mais déjà habitué.es Il y a tout juste un an, nous avons tous pilé sec sur nos routes, nos chemins et nos sentiers. Nous avons parfois créé un carambolage, été victime d’un télescopage et évité de justesse un dérapage. Mais nous sommes toujours là ! Il nous arrive encore de ressasser notre passé perdu. Mais c’était avant…avant, il y a longtemps …
En 1961, dans sa pièce de théâtre « Oh les beaux jours » Samuel Beckett a imaginé le confinement extrême de son personnage, jusqu’à l’obsession. Presque enterrée vive dans un mamelon de terre, dans un trou, où ne dépasse que haut du corps de Winnie . Une femme tronc qui cherche à tout prix à rester vivante, séduisante, en vérifiant sans cesse que son corps ne se délite pas de trop. Cette obsession pour l’apparence prend un sens comique, parce qu’elle cache des angoisses bien plus profondes. Winnie se montre par moment lucide et frivole avant que la réalité et l’inquiétude ne la saisissent encore et encore… C’est de haute lutte qu’elle arrive à tenir dans cet état de claustration, pas seulement physique. «Il est des moments où même les mots vous lâchent, et en particulier ceux qui désignent le temps qui passe, signes d’une mémoire qui s’effrite »[…] « Il y a si peu qu’on puisse dire. […] On a tout dit. […] Tout ce qu’on peut […] Et pas un mot de vrai nulle part.» Et pourtant ce sont les rires qui l’emportent. C’est une des échappatoires à l’enfermement que Beckett nous propose ici.
Alors à trop rester dans son trou et à trop regarder dans le rétroviseur, on en oublierait presque de regarder devant soi. Mais à regarder trop loin devant soi, on en oublierait presque de regarder ses mains, ses pieds, sa vie aujourd’hui et on en oublierait même de profiter de chaque respiration qui nous est offerte, maintenant, comme un cadeau qui nous garde en vie. Chacune de nos respirations, en pleine conscience, nous arrache au trou de la monotonie … chacune de nos respirations nous vitalise … Essayez pour voir !